L’émotion, une composante majeure de toute douleur
Selon la définition officielle de l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP), « la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans ces termes ». La douleur est définie par quatre composantes essentielles à sa compréhension :
- la composante sensorielle : brûlure, décharge électrique, torsion, etc …
- la composante cognitive : ce qu’on se représente de la douleur et le sens qu’elle en a pour l’individu qui la ressent
- la composante comportementale : pâleur, plainte, posture adoptée, etc …
- la composante émotionnelle : elle explique le ressenti de la douleur et est largement dépendante du contexte dans lequel elle est apparue
Cette définition rappelle à quel point une douleur, qui n’est pas uniquement une sensation, se définie aussi par un caractère émotionnel ayant une importance majeure dans son mode d’apparition, son entretien et son éventuelle chronicité. Malheureusement, cette composante émotionnelle liée à la douleur est encore très largement sous-estimée dans nos sociétés, car la médecine telle qu’elle est pratiquée dans l’Occident, bien qu’elle en connaît et reconnaît son importance, ne nous apprend que trop peu à la reconnaître et à la prendre en charge de manière adaptée.
Qu’est-ce qu’une émotion ?
Il existe une multitude de définitions de l’émotion qui est une notion extrêmement complexe à définir. Nous pouvons dire qu’une émotion est une réaction naturelle, réflexe et involontaire à une stimulation extérieure qui rompt la tranquillité et se manifeste par des modifications physiologiques plus ou moins intenses. Une émotion doit pouvoir survenir naturellement, circuler librement et disparaître spontanément, ou parfois, avec de l’aide.
Parfois, une émotion peut rester « figée », « ancrée » face à une situation vécue, ce qui semble dépendre de son intensité, de sa répétition et de l’homéostasie de l’individu qui la ressent, c’est à dire de son propre « terrain » (hygiène de vie, pathologie, antécédents physique et / ou psychologique, etc …).
Des études récentes sur les neurosciences de la douleur ne font qu’appuyer l’importance de ce qu’on appellera dorénavant « le contexte bio-psycho-social d’un individu », expliquant dans de nombreux cas que des facteurs favorisants, psycho-émotionnels notamment, contribuent à installer des troubles musculo-squelettiques en dehors de facteurs déclencheurs traumatiques connus et avérés.
Ce concept d’association entre douleur et émotion « figée » permet d’aborder une notion extrêmement importante dans l’élaboration d’un diagnostic ostéopathique : la dysfonction somato-émotionnelle.
Qu’est ce qu’une dysfonction somato-émotionnelle ?
Pour comprendre ce qu’est une dysfonction somato-émotionnelle, il est d’abord nécessaire de re-définir la notion de dysfonction somatique.
En ostéopathie, une dysfonction somatique est une altération de la mobilité, de la viscoélasticité ou de la texture des composantes du système somatique, s’accompagnant ou non d’une sensibilité douloureuse. Lorsqu’un ostéopathe prend en charge un patient, il recherche les dysfonctions somatiques de son corps afin d’établir un diagnostic ostéopathique aboutissant à un traitement adapté et efficace. La dysfonction somatique est donc le substrat qui détermine le schéma dysfonctionnel du patient, plus ou moins complexe selon la plainte, son ancienneté, son mode d’apparition, ses croyances (« mon dos est fragile », « mon dos est abîmé », etc …).
La dysfonction somato-émotionnelle, elle, est une dysfonction somatique à laquelle s’ajoute une composante émotionnelle majeure dans son mode d’apparition et son entretien, plus ou moins associée à une symptomatologie douloureuse. Les psychologues parlent eux, de « mémoire traumatique corporelle », pouvant révéler un stress aigu, un état de stress chronique ou bien même un état de stress post-traumatique. Ce qui peut créer la dysfonction somato-émotionnelle, ce n’est pas l’émotion en elle-même, mais potentiellement son blocage imposé par le mental, ou le déni de sa reconnaissance, ou bien encore la fuite du ressenti émotionnel ou de son expression, quand il ne s’agit pas simplement de son intensité ou de son caractère répétitif, par exemple, comme nous avons pu le voir ci-avant. La douleur devient un signal d’alarme et porte alors le « masque » de la blessure psychique.
Très souvent, un patient qui consulte pour une douleur, parfois une simple gêne ou un trouble fonctionnel donné, n’exprimera pas un vécu émotionnel non digéré à l’origine de son motif de consultation, faute d’en faire le lien spontanément ou du moins, consciemment. Si derrière sa plainte peut se cacher une ou plusieurs dysfonction(s) somato-émotionnelle(s), c’est souvent pendant le traitement ostéopathique que le patient pourra prendre conscience d’une réaction émotionnelle lors de la libération de certains tissus en dysfonction.
Cela peut donner lieu à des fous rires pendant le traitement traduisant par exemple l’expression d’une joie, parfois des pleurs pouvant révéler une tristesse enfouie, parfois une résurgence de colère ancienne ou plus récente, etc … L’essentiel lors de ce travail somato-émotionnel est de libérer, sans jugement, une émotion « fixée », ayant entraîné un phénomène de somatisation à l’origine, par exemple, d’une douleur.
Illustration par l’exemple d’un cas clinique lors d’une douleur aiguë
Une patiente se présente au cabinet avec une dorso-lombalgie diffuse, aiguë (depuis 2 jours) et très algique, l’empêchant de se mouvoir librement et de s’allonger sur le dos. Lors de l’anamnèse, la patiente décrit une douleur de premier épisode, de survenue brutale le matin au réveil, sans notion de traumatisme physique associé ni antécédent physiopathologique sous-jacent.
En interrogeant plus précisément la patiente au cours de la consultation, elle raconte que deux jours avant l’apparition de sa douleur, elle a été poussée dans sa piscine, en précisant que si la chute n’était absolument pas violente, elle a néanmoins ressenti une surprise importante et donc une peur vive simultanée puisqu’elle ne s’y attendait pas. Voilà dans ce contexte émotionnel l’apparition d’une réaction corporelle de défense, un signal d’alarme apparue à retardement : la douleur s’installera deux jours plus tard. Ce n’est sans doute pas la seule chute qui réveillera la douleur, mais l’émotion enregistrée au moment de tomber qui catalysera la réaction de défense de l’organisme et l’inflammation qui y sera alors associée.
Que s’est-il vraisemblablement passé dans le cas de cette patiente ? Lors de la chute, une certaine partie de son corps a réagi sous la contrainte et l’ensemble des tissus concernés à pu gérer cet effort subi en s’adaptant. Mais la « peur » que cette patiente a ressenti a augmenté la contrainte reçue et l’a transformé en véritable agression, et ce, même si la chute n’était pas violente. Le seuil de tolérance de la zone anatomique la plus sollicitée dans la chute est alors dépassé, et le système neurologique analyse l’événement comme un véritable risque de blessure : il envoie alors l’information aux tissus qu’il y a danger, et sous l’impulsion d’un réflexe de protection, entraîne de l’inflammation qui réveillera la douleur quelques heures plus tard, lorsque le potentiel « danger » sera écarté.
Conclusion
La souffrance du corps peut parfois révéler une souffrance psychologique plus profonde, aigüe ou chronique, à laquelle le patient croyait avoir échappé ou qu’il pensait même « digérée ». Le corps est d’une puissance incroyable et trouvera toujours le moyen de s’exprimer, parfois même dans la douleur.
Il est souvent difficile de savoir l’écouter surtout quand nous n’avons pas appris à le faire. Si apprendre à se connaître est le travail de toute une vie, repérer nos propres moyens d’expression physiques et s’interroger à leur sujet est déjà un grand pas vers le mieux-être et le maintien d’une bonne santé physique mais aussi psychique !
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